Droits numériques francophones : compte-rendu du deuxième atelier

Dans le cadre du projet Cartographie des droits numériques francophones financé par le pôle Inven_T de l’Université de Montréal, nous organisons 4 ateliers pour explorer les droits numériques francophones comme fondement de notre cartographie. Le deuxième atelier, intitulé « Documentation des droits numériques francophones », qui s’est tenu le 18 janvier 2023, visait à réfléchir aux droits numériques francophones et à la manière de les circonscrire et de les contextualiser. Pour ce second atelier, nous avons eu le plaisir d’accueillir Jason Michaud, Liane Décary Chen et Marie LeBlanc Flanagan, qui nous ont parlé de leurs pratiques créatives de résistance et de mobilisation pour les enjeux des droits numériques en contexte francophones minoritaires.

Cette fois-ci, c’était la professeure de l’Université de l’Ontario français (UOF) Sarah Choukah, qui modérait l’atelier. Elle a rappelé que l’atelier visait à mieux saisir comment les droits et enjeux de résistances numériques peuvent être identifiés à travers des trajectoires d’expériences individuelles et collectives. L’atelier visait à répondre aux questionnements tels que jusqu’où s’étendent les droits numériques et comment les protéger, car de nombreuses institutions rencontrent des difficultés pour s’ajuster aux nouveaux défis que comportent les droits numériques étant donné la nature très évolutive et complexe de ceux-ci.

Le premier présentateur, Jason Michaud, est originaire d’une communauté francophone au nord de l’Ontario. Il a fondé Stardust Technologies en 2014, une entreprise dont le but est notamment de rendre l’espace plus accessible à l’humanité. Dans le cadre d’un récent projet, la firme a développé des technologies permettant d’aider les astronautes à gérer leur santé mentale pendant leur séjour dans la station spatiale internationale. Ainsi, Stardust Technologies propose des solutions pour permettre aux astronautes de rester connecter avec leur famille, grâce à la réalité virtuelle, mais aussi en développant des technologies permettant de ressentir les embrassades par exemple.

À travers Stardust Technologies, Jason Michaud souhaite également rendre accessible les métiers de l’aérospatial et créer des opportunités pour les femmes, les personnes autochtones et les Franco-ontariens. Stardust Technologies a lancé la création d’un centre spatial en février 2022 à Cochrane, une petite ville en Ontario. Le centre propose des formations et des facilitations pour aider les jeunes à s’impliquer dans le numérique. En effet, Jason Michaud a remarqué, au cours de son parcours, qu’il y avait un manque de littéracie et de supports numériques dans le Nord du Canada. Il a mis sur pied le Stardust Festival dont la dernière édition s’est déroulée en août 2022 à Cochrane, pour permettre aux jeunes de rencontrer les gens travaillant dans l’industrie aérospatiale et que ceux-ci puissent partager leur parcours et inspirer les jeunes, leur donner des perspectives différentes. Dans le cadre de ce festival mais aussi lors de camps, des activités de fabrication et de lancement de fusées sont proposés pour créer un engouement envers ce milieu. Dans l’ensemble, Jason a soulevé plusieurs enjeux et défis actuels concernant les droits numériques et l’importance de l’égalité, l’équité et l’accessibilité en matière de connaissances et de possibilités liées au numérique.

Puis, la chercheuse et artiste Liane Décary Chen a présenté certains de ses projets d’éducation populaire au niveau du numérique qu’elle lie avec l’art. Elle a effectué une résidence à Ada-X pendant laquelle elle a travaillé avec Sarah Choukah et Marie LeBlanc Flanagan au sein du projet Tech Tech Tech. Le projet visait à répondre à la question « comment peut-on se détacher des géants numériques (les GAFAM) ? ». Elles se sont vite rendu compte qu’il n’y a pas forcément besoin de connaissances spécifiques pour entamer ce processus mais que souvent, il y avait un blocage émotionnel chez les gens, car ils semblaient craindre que cela ne soit trop complexe.

Liane a donc créé différents guides, dont un « Step By Step guide » qui utilise les cartes du tarot pour entamer un processus de détachement des GAFAM. Simultanément, elle a participé à un espace à Montréal, le Cyber Love Hotel qui vise à se regrouper pour penser aux technologies. Les perspectives marginalisées y sont mises de l’avant, car elles sont uniques par rapport aux problèmes auxquels nous faisons face concernant le numérique. Le but est également de rendre accessibles des formations et de l’équipement aux personnes qui n’en ont pas les moyens.

Enfin, Liane Décary-Chen a abordé les enjeux liés à la surveillance et à l’intelligence artificielle. Elle s’est rendu compte, dans les années 2010, qu’il y avait beaucoup de violences et de menace reçues par les femmes dans le milieu numérique, et notamment dans le monde du jeu vidéo. Cela lui a fait réaliser que son activisme féministe dans sa pratique pouvait être dangereux. Elle s’est donc tournée vers la cybersécurité dans l’objectif de pouvoir créer des safe space sur Internet. Ceci l’a amenée de plus en plus à se pencher sur la surveillance gouvernementale et de masse. En effet, des mécanismes de surveillances sont incorporés dans le déploiement de l’usage de l’intelligence artificielle pour développer les activités du gouvernement, des systèmes juridiques et policiers. Ce développement peut être notamment justifié par la volonté de moderniser de vieux systèmes grâce à l’intelligence artificielle, pour gérer les activités d’une ville, par exemple équiper les systèmes d’éclairage avec des senseurs, et mettre en place les smart cities, ou villes intelligentes.

Au quotidien, cela facilite la vie des utilisateur.ice.s, mais cela facilite aussi la surveillance, notamment avec l’usage de la reconnaissance faciale, qui donne lieu à une collecte biométrique (une collecte de caractéristiques physiques ou comportementales qui permettent d’identifier des personnes). La reconnaissance faciale est utilisée au Canada pour le système policier dans plusieurs villes, à des fins de smart policing : toutes les informations recueillies sont utilisées pour étoffer une intelligence artificielle qui aide à la prévention de la criminalité. Liane insiste sur les possibles dérives que cela peut amener, notamment le profilage racial, et appelle de manière générale à la vigilance de la population pour mieux réfléchir et légiférer sur ces enjeux du développement numérique des villes.

Marie LeBlanc Flanagan est une artiste travaillant à la création d’espaces ludiques liés aux connexions entre les communautés. Elle a créé Wyrd Arts Intiatives, un organisme à but non lucratif, pour encourager et documenter l’expression artistique au Canada. Marie aime questionner l’espace. Elle passe par les arts et la musique pour questionner l’apport des technologies à nos définitions de cette notion. Elle a notamment lancé l’initiative d’une journée internationale d’imitation musicale du bruit des drones, qui a été suivie par des musiciens dans le monde entier. Son activité passe également beaucoup par le jeu, à travers des mises en situation, la création de jeux collaboratifs. Par exemple, elle a produit Auscult, un jeu dans lequel les communications se font en utilisant nos expressions faciales et des bio signaux.

Lors de sa présentation, Marie LeBlanc Flanagan a proposé à toutes les personnes participantes de prendre une feuille de papier et un crayon, dans le but de répondre à quelques questions :

– Où vous sentez-vous le plus connectés aux autres ?

– Quand avez-vous utilisé un ordinateur pour la première fois ? Qu’est-ce que ça vous a fait ?

Marie nous mène à nous questionner dans notre rapport à Internet. Après un tour de table, elle nous amène à réfléchir ensemble à la signification que nous apportons à ce réseau, aux défis auxquels nous faisons face et dans quelle direction nous aimerions qu’Internet aille :

– Citez un défi auquel vous avez été confronté, en tant que francophone, sur Internet.

Les réponses foisonnent, les personnes participantes mentionnent notamment les interfaces qui sont principalement en anglais, les logiciels de corrections du français et l’accès à Internet dispendieux, les défis d’utilisation de clavier anglophone, les difficultés pour se faire bien comprendre.

  • Quel est le droit numérique le plus important pour vous, et pourquoi ?

En réponse à cette question, certaines personnes ont mentionné le droit à la déconnexion, le droit à l’apprentissage et l’information, la liberté d’expression, le droit à la protection des données personnelles.

Enfin, Marie a demandé aux participant.e.s de décrire ce que serait l’Internet s’il était fait par des gens qui l’aiment :

« Tout en logiciel libre, et efficace ! »

« Ce serait un espace de tendresse et d’affection, avec des chats ! »

« Bienveillant et drôle. »

« Un espace émancipateur, d’apprentissage et d’organisation collective. Un espace non-invasif, un espace sécurisé. »

Marie a incité les personnes présentes à se remémorer de se poser la question : pour qui sont faits les ordinateurs et Internet ?

À travers ces récits personnels, la documentation des droits numériques a pu être entamée. Des droits repris à l’humain, à ce qui nous touche de près ou de loin pour notre dignité, ce qui nous importe : l’accès à l’information, la vie privée, la liberté d’expression, la sécurité, l’équité et l’inclusion des personnes marginalisées.