Les infrastructures numériques : quels enjeux en contexte canadien ?

Par Anne-Sophie Letellier et Julien Hocine

Résumé

La métaphore d’Internet comme nuage – le fameux cloud – fait l’objet de remises en question ces dernières années par des chercheuses et chercheurs qui étudient les dimensions matérielles des réseaux numériques et investiguent les rapports de pouvoir, les actions militantes ainsi que les enjeux sociaux, idéologiques, politiques et économiques qui s’y rattachent. Effectivement, plusieurs activistes s’interrogent sur les impensés du numérique et s’engagent dans des pratiques de résistance « aux systèmes institutionnels et techniques nécessaires pour garder l’Internet fonctionnel et sécuritaire » (notre traduction : Musiani et al., 2016: 4). Les actions qui caractérisent de telles pratiques sont menées par des groupes désireux de s’approprier les infrastructures numériques ou de modifier les normes et politiques qui encadrent leurs usages (Milan, 2013). Ils le font par exemple en exposant les enjeux de vie privée associés à l’exploitation de failles de sécurité par des acteurs gouvernementaux pour gagner un accès non autorisé aux communications privées des utilisateurs d’Internet (Greenwald, 2014), en dénonçant la censure opérée à travers les kill-switches (de Nardis, 2012), ou encore en soulignant les impacts environnementaux des centres de données (Hogan, 2015).

À l’instar des luttes associées aux infrastructures médiatiques radiophoniques (Dunbar-Hester, 2014 ; Langlois et al., 2010), les pratiques de résistance liées aux infrastructures numériques réfèrent à « l’implantation de moyens de communication, tels que des fournisseurs d’accès Internet (FAI) non commerciaux (.) afin de défaire le monopole des États et des conglomérats médiatiques, technologiques et des télécommunications sur l’usage et le contrôle des infrastructures de communication » (notre traduction : Milan, 2013: 1). Elles font aussi référence aux luttes liées à leur gouvernance qui impactent les libertés civiles, la capacité des citoyens à communiquer des messages ou encore l’accès à différents types de contenu médiatique.

L’étude de ces enjeux se consacre communément aux pratiques et discours qui ont lieu sur la scène internationale. Cela est tout à fait logique compte tenu de la dimension éminemment transnationale des réseaux ainsi que du caractère multipartite des pratiques de gouvernance (ICANN, par exemple) qui y sont associées. Toutefois, peu de travaux traitent des luttes et des modalités de l’engagement citoyen circonscrites à une échelle nationale. Devant ce constat, cet article explore le concept d’infrastructure numérique et son articulation aux formes d’engagement citoyen menées au Canada. Il propose de réfléchir à la notion de résistance afin de situer comment – et autour de quels enjeux – elle se manifeste dans le champ des infrastructures numériques au Canada.

Notre démarche est inductive et consiste en une analyse thématique de la littérature à partir du logiciel NVivo. Les références ont été compilées à partir de bases de données universitaires et constituent un corpus de près de 50 titres académiques majoritairement publiés dans des revues savantes et évalués par les pairs. Différents critères ont guidé notre démarche : les titres devaient avoir été publiés en français ou en anglais, à partir de 2010. Ils devaient aussi documenter les notions d’infrastructures numériques et d’engagement citoyen prenant place sur le territoire canadien. Nous avons prêté une attention particulière à la manière dont est appréhendé le concept d’infrastructure, aux enjeux qui s’y rattachent ainsi qu’aux actions entreprises par des groupes de citoyens/militants.

La proposition d’analyse qui suit contribue donc à saisir comment sont abordées les luttes liées aux infrastructures numériques à l’échelle nationale. Davantage axées autour des enjeux de connectivité et d’appropriation, les formes d’engagement exercées au Canada témoignent quant à elles de pratiques de résistance face aux monopoles des fournisseurs d’accès Internet, au contrôle exercé à travers des politiques publiques ainsi qu’à la colonialité du pouvoir, plus particulièrement dans le contexte des communautés autochtones géographiquement éloignées. Ces pratiques de résistance sont l’expression d’une agentivité, laquelle se déploie dans le développement de l’autonomie des communautés ainsi que dans leur capacité à s’engager et innover par et pour le numérique.

Définir l’infrastructure : un engagement épistémologique et politique

Le terme d’infrastructure, utilisé dans une variété de disciplines, fait référence à des éléments structurant le fonctionnement d’autres systèmes à plus ou moins grande échelle (Leigh Star, 1999). Mobilisé au début du vingtième siècle pour désigner les installations militaires permanentes (Parks, 2015), il fut rapidement associé aux systèmes d’aqueducs, de transport, aux réseaux électriques et de télécommunications, constituant la compréhension usuelle du terme à l’heure actuelle.

Dans le domaine des communications numériques, le concept d’infrastructure renvoie à une variété d’éléments, lesquels ne se restreignent pas aux composantes physiques des réseaux numériques. Les études en sciences et en technologies l’utilisent comme un concept relationnel qui désigne une variété de strates. Elles sont composées d’éléments physiques (tours cellulaires, satellites, centres de données, câbles sous-marins ou terrestres à fibre optique, etc.), de plateformes en ligne ou encore de standards et protocoles responsables d’assurer la transmission efficace de l’information sur les réseaux numériques (Musiani et al., 2016 ; Milan & ten Oever, 2016).

En explorant la manière dont est conceptualisée l’infrastructure numérique à partir de l’agentivité de groupes citoyens au Canada, notre intention n’est pas de proposer une réflexion ontologique sur ce que constitue une infrastructure numérique. Elle porte plutôt sur le sens et les implications sociales et politiques autour de ce qui est catégorisé comme tel. Pour reprendre les propos de Larkin (2013), nous considérons que :

Given the ever-proliferating networks that can be mobilized to understand infrastructures, we are reminded that discussing an infrastructure is a categorical act. It is a moment of tearing into those heterogeneous networks to define which aspect of which network is to be discussed and which part will be ignored (.) [it] comprises a cultural analytic that highlights the epistemological and political commitments involved in selecting what one sees as infrastructural (and thus casual) and what one leaves out (330).

Majoritairement rattachés aux satellites, câbles à fibres optiques et câbles DSL à haut débit, les éléments physiques décrits dans notre corpus restent intimement liés au champ lexical de la connectivité – occultant par la même occasion d’autres composantes comme les serveurs ou centres de données. Effectivement, que ce soit en contexte dit « rural » ou en milieu urbain, les infrastructures sont présentées comme des systèmes sociotechniques, dont les éléments physiques sont fréquemment définis en relation avec les infrastructures dites sociales qui elles, assurent une expertise opératoire considérée comme un élément essentiel au développement et à l’entretien des réseaux.

La caractéristique relationnelle des infrastructures numériques illustre la dépendance d’autres infrastructures et services dans la mesure où elles sont « intimement liées à des processus et phénomènes organisationnels » (Notre traduction : Budka, 2015: 138). Notamment, pour les communautés géographiquement éloignées, le développement d’expertises est nécessaire non seulement dans le cadre de la construction des réseaux, leur entretien, l’opérationnalisation de services (tels que la télémédecine, les vidéoconférences, les plateformes d’apprentissage en ligne), mais également de l’autodétermination culturelle et économique des communautés (Budka, 2015 ; McMahon et al., 2017, 2020). Parallèlement, Powell souligne – cette fois, dans le contexte du développement de réseaux sans- fil dans les centres urbains – le rôle central de l’implication de bénévoles experts dans le développement et l’administration du réseau Île-sans-fil afin de créer des espaces de communication plus autonomes des monopoles exercés par les fournisseurs d’accès Internet (2011).

Le fait que le concept d’infrastructure soit appréhendé à travers les enjeux de connectivité et d’appropriation s’inscrit de toute évidence dans un langage institutionne : le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), Infrastructure Canada ainsi qu’Innovation, Sciences et Développement Canada positionnent effectivement les infrastructures en relation avec l’enjeu de la connectivité au pays. Il est, par exemple, admis dans la Charte du numérique « que l’accès à une infrastructure de pointe et à la connectivité est primordial pour la croissance industrielle et pour permettre la participation des Canadiens [et Canadiennes] à l’économie numérique » (Innovation, Sciences et Développement Canada, 2019). Les exigences légitimes qui émergent à l’égard de changements nécessaires en matière de politiques publiques, de financement d’initiatives, de contrôle communautaire des réseaux ou encore d’une émancipation des dynamiques coloniales et commerciales, s’opèrent donc à l’intérieur de ce cadre sémantique.

Accès et connectivité : reflet des inégalités spatiales et socio-économiques au Canada

Si la plupart des usagers d’Internet des centres urbains au Canada peuvent tenir pour acquis l’accès et les choix dont ils disposent auprès de plusieurs fournisseurs de service, ce n’est pas le cas partout au pays. En ce sens, plusieurs études du corpus abordent les enjeux d’accès à Internet dans plusieurs localités du point de vue d’une « ruralité » à dépasser. Selon McMahon (2014), les coûts élevés d’installation et de maintien des infrastructures, doublés de l’absence d’encadrement et de régulations en matière d’investissement et de politiques publiques, ont contribué à creuser un accès inéquitable à Internet au Canada. D’autres soulignent les engagements du CRTC formulés en 2016 à l’égard de l’accès à Internet en tant que besoin fondamental même en contexte rural : « In the Telecom Regulatory Policy CRTC 2016-496 (CRTC, 2016a), the CRTC sets forth a new path for connectivity, one of the objectives highlights the disparity experienced by rural and remote Canadians in terms of speed, capacity, quality, and price » (Fontaine, 2017 : 20).

Ce sont en effet les investissements de l’État et la bonne volonté des fournisseurs d’accès privés (ces derniers étant réticents à prendre des risques financiers sans garanties) qui conditionnent l’accès à Internet. Les communautés et acteurs locaux, pour leur part, déploient dans ce contexte des efforts pour s’approprier les infrastructures et assurer un contrôle sur celles-ci. Le First Mile Connectivity Consortium (FMCC) en est un exemple. Cette initiative réunissant des acteurs de plusieurs communautés autochtones vise à réduire la « fracture numérique » en se concentrant sur les moyens par lesquels les politiques publiques, les réglementations et autres aides permettent aux communautés d’utilisateurs de générer et de maintenir leurs propres infrastructures (McMahon, et al., 2014). Le FMCC intervient dans la construction et l’exploitation d’infrastructures numériques. Il propose ainsi des solutions innovantes pour assurer un haut débit fiable, inclusif, équitable, abordable et reposant sur un principe d’implication et d’autonomie des communautés (Beaton, 2018).

Dans d’autres études (Budka, 2015 ; Coelho, 2018 ; Howard et al., 2010 ; O’Donnell & Beaton, 2018 ; O’Donnell et al., 2018 ; Ruiz, 2014, 2015 ; Young, 2019), cette dimension spatiale est articulée autour de trois axes. Le premier est relatif à des limitations structurelles, soit l’absence ou le manque de volonté politique pour articuler des stratégies au niveau gouvernemental et paragouvernemental. Le second fait référence au manque de financement et d’engagement à long terme de la part des pouvoirs publics et des entreprises de télécommunication pour déployer les ressources nécessaires pour connecter les communautés. Le dernier traite des défis techniques liés à l’environnement exigeant, aux compétences requises en matière de littératie numérique et aux ressources matérielles nécessaires pour assurer l’entretien des infrastructures. Autrement dit, la fracture numérique et l’économie politique d’Internet à large bande témoignent effectivement de l’historicité du développement national – et régional – et rendent compte de catégorisations binaires (par exemple entre centres urbains/ régions rurales) et de l’exclusion des communautés géographiquement éloignées. Par ailleurs, le développement socio-économique de ces communautés fait régulièrement l’objet de considérations et d’interventions exogènes. Les espaces géographiquement éloignés renvoient à des enjeux discursifs et de représentation, notamment par rapport aux ressources qui ont été nécessaires au développement national ou encore la résurgence d’un discours impérialiste au service d’intérêts privés (voir Johnson, 2019). La dépendance encore répandue à la connexion satellitaire, de même que la situation de monopole dans le secteur des télécommunications, participent donc au caractère rural des communautés moins bien desservies. À l’instar de l’Arctique canadien, comme l’explique Ruiz (2014) :

[…] a monopolistic form of service provision by Telesat Canada, a privately owned company, means they are linked to a single type of privatized media connection that is both highly centralized and poorly regulated. This condition of Arctic “rurality” is in part defined by the lack of road infrastructure that connects many of these communities. This absence, that essentially (financially and infrastructurally) precludes the possibility of large- scale fibre optic or microwave forms of service delivery, makes satellite latency an important issue (11).

 Enfin, comme nous le mentionnions, d’autres études se concentrent plus spécifiquement sur les enjeux d’accès et de connectivité dans les métropoles. Elles montrent que les enjeux d’accès et de connectivité ne sont pas uniquement le reflet des inégalités spatiales, mais aussi celui des inégalités socio-économiques qui traversent la société. Powell (2011) et Huang (2013), par exemple, analysent respectivement le projet Île Sans Fil – un réseau wifi communautaire pensé et élaboré par un groupe de bénévoles à Montréal – et différentes initiatives citoyennes (tels que la Puce Communautaire) pour aborder les manières dont l’accès aux réseaux numériques et l’utilisation des technologies peuvent contribuer aux luttes « contre l’exclusion numérique et sociale » (Huang, 2013: 288). Dans cette même veine, Light et Haralanova (2016), qui se sont intéressés à l’initiative Réseau Libre à Montréal, expliquent que ce réseau mesh – déployé dans le contexte de la grève étudiante et du mouvement Occupy Montréal en 2012 – répondait à une intention des concepteurs de déployer les infrastructures d’un réseau de communication en dehors des monopoles des fournisseurs d’accès au Canada et favoriser l’émergence de communautés engagées, plus libres et autonomes.

L’émergence d’une conception des communs par le numérique et d’une approche « par le bas » dans le contrôle et le maintien du réseau apparaît centrale dans ces divers projets citoyens. Alors que l’ensemble de ces travaux portent sur des initiatives qui traitent des enjeux de connectivité à travers les prismes de la disponibilité et de l’accessibilité (technique et économique) dans les villes, nous pouvons noter qu’ils s’inscrivent également dans une forme de militantisme – et de résistance – contre « le fossé existant entre le volontarisme politique visant à créer des métropoles numériques d’une part, et la situation critique des groupes marginalisés vis-à-vis la fracture numérique, de l’autre. » (Huang, 2013: 287).

L’appropriation communautaire des infrastructures numériques

L’agentivité des communautés dans le contrôle et l’appropriation des infrastructures numériques met en évidence un enchevêtrement de rapports de pouvoir dans leur construction et dans les politiques publiques qui encadrent leur gouvernance. Cette agentivité rend compte de la nécessité d’un agir à travers les discours et les pratiques sur la question des infrastructures, mais également sur celles de la souveraineté des données (voir, Ricaurte, 2019) et du contenu culturel diffusé sur les réseaux numériques (Pasch, 2015) – enjeux fréquemment évoqués, entre autres, dans le cas des Premières

Nations et des Autochtones au Canada. En milieu urbain, l’initiative Réseau Libre démontre plutôt que la notion d’appropriation fait référence à l’utilisation innovante d’objets techniques (antennes, routeurs, modem, etc.) pour créer des espaces de communication autonomes et libérés des « poor consumer choice, monopolised telecommunications providers, pervasive surveillance and poor privacy protection » (Haralanova & Light, 2016).

Ces tendances illustrent deux logiques différentes. Dans le premier cas, l’appropriation se comprend à travers des luttes visant simultanément une inclusion numérique et un renversement des rapports de pouvoir coloniaux et des contraintes susmentionnées. Dans le second, elles s’inscrivent surtout dans une intention des militants de se soustraire – par la création d’un espace communicationnel alternatif – des réseaux de télécommunication jugés problématiques. Néanmoins, ces deux pratiques d’appropriation restent orientées vers une résistance opposée au contrôle privé exercé sur des espaces communicationnels. Elles mettent également de l’avant des pratiques qui reflètent les préoccupations des communautés et leur désir de changement.

Entendue comme géographiquement, culturellement et socialement ancrée, la dimension communautaire de l’informatique se pose en contraste d’une informatique pensée en fonction d’intérêts entrepreneuriaux (Proulx, 2006). Il ne s’agit pas seulement d’être « connecté », mais surtout de renforcer un contrôle sur les normes, les politiques publiques ainsi que sur les conditions de financement qui permettent et encadrent cette connexion. On parle donc d’actions techniques liées à la construction, à l’opération, à la possession (en anglais, ownership) des infrastructures numériques, mais aussi d’actions d’engagement dans le développement de « evidence-based policy » (Beaton, 2020, p.1) visant à contester le pouvoir économique des fournisseurs d’accès et de leur « market-oriented approach that fails to motivate private broadband infrastructure investment in rural, remote and socio- economically marginalized communities » (McMahon, 2011: 116).

Pour revenir à la notion de résistance, celle-ci nous apparaît particulièrement manifeste dans le déploiement d’espaces communautaires ; témoins d’infrastructures sociales dynamiques au sein des communautés d’usagers (Shade, 2016 ; Ruiz, 2014). Ces espaces fréquemment présentés comme makerspacehackerspace ou autres permettent la tenue « d’activités communes en permettant notamment [aux] membres de partager un espace, des outils et des installations » (Goldenberg & Proulx, 2011: 115). En outre, ils facilitent l’établissement de communautés de pratique, l’appropriation collective des technologies et réseaux sans-fil (Powell, 2011), ainsi que le développement des compétences chez les usagers en matière de littératie technologique (Shade, 2016 ; Shade & Chan, 2020). Si ces initiatives sollicitent une réflexion sur les communs du numérique, dans le contexte des communautés dites « rurales », on évoque ce type d’espace et de mobilisation en lien avec la capacité des communautés à entretenir de manière durable leurs réseaux, à faciliter l’accès et l’usage de matériel technologique. Ils constituent finalement des lieux sécurisants et vitaux pour développer des compétences en littératie technologique qui permettent l’accès à des services essentiels tels que des ressources éducatives ou encore des services en santé, tout en étant attentifs aux enjeux culturels, sociaux et linguistiques (Pasch, 2015).

En définitive, les actions d’engagement à l’égard des infrastructures numériques font ressortir deux impératifs (ou terrains de lutte) : l’un politique et l’autre technologique. C’est sur ces terrains que sont scrutés les impensés du développement des infrastructures numériques et les formes d’exclusion qu’il génère et contribue à maintenir. Les formes d’engagement de nature politique font référence aux efforts déployés sur le plan des politiques publiques et les financements au niveau gouvernemental. Celles de nature technologique réfèrent à des actions de contournement des limitations techniques (la connexion satellitaire par exemple) et des initiatives visant à offrir un accès, mais aussi à assurer le maintien des infrastructures dans et par les communautés concernées.

Conclusion

Les pratiques de résistance menées par des communautés géographiquement éloignées ou par des groupes de technologistes en milieu urbain tendent à contester le pouvoir économique, politique ou culturel exercé sur les infrastructures numériques par des acteurs gouvernementaux ou corporatifs. Une variété de thèmes – telles que le développement de logiciels libres comme manière de renforcer l’autonomie de communautés (Goldenberg & Proulx, 2011) et des infrastructures informationnelles « dans le fonctionnement de certaines applications web » (Couture, 2012: 4) – ainsi que d’initiatives technologiques en milieu urbain étaient documentés dans le corpus à l’étude. Il n’en reste pas moins que nous avons observé une tendance dans la littérature à se concentrer sur les actions menées par des communautés géographiquement éloignées et historiquement marginalisées.

C’est de cette perspective qu’émerge une proposition légitime : une décolonisation à entreprendre pour renverser une conception des infrastructures numériques qui persiste à véhiculer une vision impérialiste, techniciste et mercantile du monde. Ces travaux présentent justement les potentialités des projets d’émancipation formulés à travers des initiatives citoyennes dont l’intention est de résister aux monopoles exercés par des fournisseurs d’accès Internet ainsi qu’aux intérêts privés qui informent les politiques publiques. Leurs actions sont donc axées vers un savoir technique et le développement d’une littératie en matière de politique publique (Lentz, 2014). Elles s’inscrivent finalement dans un projet visant à rendre irrecevables le maintien des inégalités socio-économiques et spatiales qui traversent la société canadienne – celles-ci étant corrélatives de la (re)production capitaliste de l’espace, du temps et des rapports sociaux (Harvey, 2018; Rosa, 2014 [2010]) dans le contexte de l’accélération et de la numérisation de la société.

 

Biographies

Anne-Sophie Letellier est candidate au doctorat à la Faculté de communication de l’Université du Québec à Montréal. Elle est adjointe de recherche à la Chaire de recherche au Canada en éducation aux médias et droits humains ainsi qu’au Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société (CRICIS). Elle a co-dirigé l’ouvrage L’éducation aux médias à l’ère numérique : entre fondations et renouvellementaux Presses de l’Université de Montréal et est co-auteure du livre On vous voitparu chez Librex et est récipiendaire d’une bourse de doctorat du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (2015-2018)

Julien Hocine est doctorant à la Faculté de communication de l’Université du Québec à Montréal. Il est membre étudiant de la Chaire de recherche sur l’imaginaire du Nord, de l’hiver et de l’Arctique, du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ) ainsi que du Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société (CRICIS). Il est récipiendaire d’une bourse de doctorat du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (2019-2022).

 

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