Droits numériques francophones : compte-rendu du troisième atelier

Dans le cadre du projet Cartographie des droits numériques francophones financé par le pôle Inven_T de l’Université de Montréal, nous organisons 4 ateliers pour explorer les droits numériques francophones comme fondement de notre cartographie. Le troisième atelier intitulé « Cartographier les droits numériques : outils et enjeux » s’est tenu le 13 mars 2023. Il nous a permis d’amorcer une réflexion sur les pratiques de cartographies (outils et ressources disponibles) ; d’échanger sur des questions d’ordre méthodologiques et d’identifier les défis liés à cette démarche.

Pour cet atelier, nous avons eu le plaisir d’accueillir Marie-Eve Drouin Gagné, professeure et chercheuse postdoctorante à l’INRS (Institut national de la recherche scientifique) ; Sebastian Castro, développeur du logiciel libre GoGoCarto ; ainsi que Louis Renaud-Desjardins, chercheur et membre du CIRST (Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie).

1- « On est partout » : contre-cartographie de Montréal/Tiohtià:ke:

Marie-Eve Drouin Gagné nous a d’abord présenté le projet de cartographie autochtone sur lequel elle travaille depuis 2018, initialement dans le cadre de son postdoctorat. Le projet qui s’intitule « On est partout » vise à développer une carte collaborative pour visibiliser les expériences de la communauté autochtone à Tiohtià:ke (Montréal) en mettant en avant leurs relations avec les espaces urbains de la ville ; une façon de se réapproprier des territoires non cédés. Un des objectifs du projet est de sensibiliser le public aux enjeux autochtones.

La carte met en valeur des histoires et des récits, tels qu’ils sont contés par de jeunes autochtones qui prennent part au processus de cartographie et qui disposent d’un pouvoir décisionnel sur la forme et le contenu de la carte. Le travail collaboratif s’est effectué lors d’ateliers en ligne et en présentiel. L’utilisation du logiciel « Miro » a permis aux participants de créer des cartes mentales (mind map) à partir de leurs histoires personnelles et d’exprimer leur créativité: certains ont dessiné des cartes en représentant les émotions qu’ils ressentent à différents endroits de la ville, tandis que d’autres ont fait des montages photos en lien avec leurs identités autochtones.

Des activités de groupe ont par la suite permis de rassembler toutes les histoires et de déterminer quels éléments les jeunes autochtones souhaitent cartographier. Ces derniers ont mis l’emphase sur l’importance des récits et des visuels, ce qui a eu une influence sur le choix de l’outil cartographique. À l’issue de ces ateliers, les différents éléments ont été classés par thématiques puis présentés aux participant.e.s lors d’une journée d’analyse collective qui a mené à la création d’un tableau reliant les différents récits entre eux.

Marie-Eve nous a ensuite fait part des défis liés à la cartographie. Tout d’abord, la difficulté de localiser certains récits et d’organiser l’information. Puis, le défi de trouver un outil adapté à ses besoins : le récit créé n’étant pas linéaire, les jeunes autochtones ont souhaité concevoir une cartographie artistique et inclure des extraits audios pour respecter la tradition orale, ancrée dans les coutumes autochtones. Des fonctionnalités qui ne sont pas disponibles sur My Map, l’outil choisi pour réaliser la cartographie. Marie-Eve a exprimé sa volonté de trouver un outil plus adapté, notamment pour réaliser des cartographies artistiques et métaphoriques.

2-GoGocarto :

La seconde intervention, par Sebastian Castro, portait sur le logiciel libre GoGoCarto, un outil simple et collaboratif, permettant de cartographier des points d’intérêts sur une carte du monde. L’outil est opérationnel et accessible depuis 2017 sur le site web GoGoCarto.fr, bien que son développement remonte à 2015. Le site compte aujourd’hui près de six mille cartes créées par les utilisateurs et est hébergé par l’association Colibri.

Sebastian a d’abord expliqué le fonctionnement du logiciel, en passant en revue certaines fonctionnalités comme la possibilité d’importer et d’exporter les bases de données dans différents formats, notamment pour les transférer sur Openstreetmap ou vice versa ; la possibilité de cliquer sur les points d’intérêts cartographiés pour afficher plus de détails ; l’option permettant de sélectionner des filtres pour une recherche plus précise ; la possibilité de consulter l’historique des modifications ; ou encore les paramètres de modération disponibles.  Sebastian a souligné l’importance de la dimension collaborative qui est au cœur du design du logiciel. Il a également indiqué que GoGoCarto offre plusieurs options permettant d’adapter l’outil selon ses propres besoins, notamment au niveau de l’interface administrateur.

Sebastian a ensuite évoqué quelques problématiques. Tout d’abord il a mentionné que beaucoup de cartes sont des cartes de test, ou des cartes laissées à l’abandon, en raison d’un manque de contributeur.ice.s. Ces derniers sont pourtant indispensables: malgré les outils existants, il est nécessaire qu’une communauté de contributeur.ice.s active s’occupe de la gestion, de la modération, et de la promotion de la carte ; un travail souvent effectué de manière bénévole, et qui s’essouffle dans le temps. Sebastian s’est ensuite exprimé sur les cartes similaires, portant sur les mêmes thématiques et existant indépendamment les unes des autres. Il a indiqué qu’une mise en commun de ces cartes serait bénéfique. L’intégration de plusieurs bases de données dans une base de données commune est techniquement possible, mais souvent les contributeurs des différentes cartes souhaitent garder le contrôle sur la personnalisation, ou ne s’entendent pas sur les éléments à inclure ou non. De telles divergences d’opinions empêchent la fusion des cartes qui aideraient pourtant à avoir des cartographies plus complètes. Sebastian a également indiqué qu’on ne se questionne parfois pas assez sur la nécessité d’effectuer une cartographie : beaucoup d’utilisateurs créent des cartes sans intérêt, pour s’amuser ou expérimenter. Il a conclu sur le fait qu’il est enthousiaste à l’idée de voir des chercheur.e.s s’emparer de cet outil pour des projets qui ont du sens.

3-Projets d’analyse et de visibilisation des données :

Notre troisième et dernier intervenant, Louis Renaud-Desjardins a présenté plusieurs projets d’analyse et de visibilisation des données élaborés avec le langage de programmation open source « R », destiné à l’analyse statistique et souvent utilisé dans la recherche académique.

Parmi les projets présentés :

  • Un projet pour visibiliser les liens entre différents projets de loi à l’aide de graphiques. Ce projet a été envoyé au gouvernement pour montrer ce qu’il est possible de faire avec des données quantitatives.
  • Un projet qui visualise la production d’articles scientifiques rédigés par des femmes durant la pandémie, permettant, par exemple, d’obtenir des pourcentages et de constater l’évolution de la proportion d’auteures dans le milieu académique.
  • Une initiative permettant de visualiser les donations de la fondation Mastercard en consultant par exemple le nombre de dons, les montants, les pays et ONG concernés, etc.
  • Le projet SAVIE mené à l’UQAM au département de sexologie, pour documenter la réalité et le vécu des personnes LGBTQ

À travers cet atelier, nous avons pu réfléchir aux enjeux de la cartographie, mais aussi aux vastes possibilités que permettent différents outils pour représenter collectivement des espaces et des réflexions.

Par Adel Aouam